Pharmacien Hospitalier, une profession essentielle mais largement méconnue

23 / 09 / 2022

MEDINLUX / N°23 / 2022

D’après les exposés des pharmaciens hospitaliers Grégory Gaudillot (pharmacien chef de service de la pharmacie du chl, président de l’aphl), André Rieutord (pharmacien chef de service de la pharmacie de Gustave Roussy cancer campus, paris) et Stéfanie Quennery (pharmacien hospitalier aux cliniques universitaires saint-luc, bruxelles).

Le 9 juin se tenait l’assemblée célébrant le 30e anniversaire de l’Association des Pharmaciens Hospitaliers du Luxembourg (APHL). C’était l’occasion idéale pour revenir sur cette spécialisation souvent méconnue. Bien souvent relégués au sous-sol des hôpitaux, les pharmaciens hospitaliers n’en sortaient pas forcément beaucoup; or leur rôle est essentiel, comme l’a démontré la crise sanitaire. Il a également beaucoup évolué depuis le début de leur existence et ne cesse de gagner de l’importance.

L’APHL en bref

Cette association a été créée en 1978 et représente 96% des pharmaciens hospitaliers du Luxembourg, qu’ils soient luxembourgeois ou pas. Parmi les missions de l’APHL se retrouvent bien sûr les échanges scientifiques et la formation continue des membres, aussi bien au niveau national qu’international. L’association a aussi à cœur de défendre les intérêts des pharmaciens hospitaliers et d’œuvrer pour la reconnaissance officielle de la profession, notamment par la reconnaissance de la spécialisation en «pharmacie hospitalière». En effet, contrairement à la Belgique et à la France, la pharmacie hospitalière n’est pas une spécialité académique au Luxembourg. Le pharmacien hospitalier, le pharmacien d’officine et le pharmacien industriel sont pourtant 3 métiers bien distincts et, avec les contraintes de gestion optimale du département, former un pharmacien hospitalier sur le terrain est un travail titanesque qui prend plusieurs années, en plus du cursus de base de 5 ans. La création de l’APHL a aussi permis de renforcer le travail interhospitalier au niveau national, et cette collaboration, qui pourrait servir d’exemple à d’autres spécialisations, a à son tour facilité la mutualisation des achats de médicaments et de dispositifs médicaux, et donc d’en obtenir à meilleur prix. Sachant que ces dépenses représentent la 2e ligne de budget des hôpitaux et qu’elles ne cessent d’augmenter, cette collaboration est plus que jamais pertinente.

Un peu d’histoire

La genèse de la pharmacie hospitalière luxembourgeoise débute au CHL en 1978. Cet élan de création durera 15 ans. En 1993, le pays compte 15 pharmaciens hospitaliers, ce qui revenait alors à plus ou moins 15 pharmacies, car, à l’époque, le travail est solitaire dans les hôpitaux. Avec la fusion des établissements, la donne a quelque peu changé et, actuellement, le pays ne compte plus que 5 pharmacies hospitalières (4 dans les établissements aigus et une dans le Centre neuropsychiatrique d’Ettelbruck), et donc aussi 5 équipes de pharmaciens. Cette redéfinition du paysage va de pair avec une diversification des missions du pharmacien hospitalier. Au total, le Luxembourg compte 56 pharmaciens actifs en hôpitaux et, parmi ceux-ci, 2 radio-pharmaciens.

Les différents rôles des pharmaciens hospitaliers

Le rôle le plus évident et donc le plus connu est celui de dispensateurs de produits de santé à destination des patients.

Le pharmacien hospitalier est un véritable gestionnaire des produits pharmaceutiques (médicaments et dispositifs médicaux) dans l’institution où il travaille ou celles avec lesquelles il a des partenariats, mais la crise du Covid a montré qu’il l’était aussi à un niveau national. Dès les premiers jours, les pharmaciens hospitaliers ont été sur le pied de guerre pour gérer les stocks de masques, d’équipements de protection individuelle, de médicaments et de dispositifs médicaux critiques, pour s’assurer qu’il n’y ait pas de manque qui aurait pu nuire à la prise en charge des patients. Ce sont eux qui ont travaillé à la gestion des vaccins (stockage – à -80°C pour les vaccins à ARN messager –, préparation, distribution) et finalement des nouveaux médicaments utilisés dans la prise en charge des patients Covid en hôpital. Durant la pandémie, le Luxembourg – et c’est à souligner – n’a connu aucune rupture de stock de médicaments essentiels grâce aux capacités de gestion des pharmacies hospitalières et au soutien de la Cellule logistique nationale.

Entre Brexit, nouvelle réglementation européenne sur la certification CE des dispositifs médicaux et pénuries récurrentes de certains produits de conditionnements ou de matières premières, les crises n’épargnent pas les pharmaciens. Chaque fois qu’un risque de pénurie se présente, le pharmacien hospitalier est là pour proposer des alternatives, mais aussi optimiser les flux et gérer les stocks.

Il est aussi un producteur de médicaments. Il assure la préparation des chimiothérapies. C’est d’ailleurs avec leur essor que les pharmacies hospitalières se sont réellement développées au Luxembourg. Ce rôle est de plus en plus important en termes de quantités de poches préparées et, au vu de l’explosion des cas de cancers, cette tendance n’est pas près de s’affaiblir. C’est pourquoi la robotisation de ces tâches se généralise progressivement, au moins dans les services les plus importants. Le pharmacien hospitalier prépare beaucoup d’autres choses, comme les poches de nutrition parentérale, les médicaments radiopharmaceutiques ou encore d’énormes quantités de solutions hydro-alcooliques, alors que les produits prêts à l’emploi étaient en pénurie lors de la crise du Covid. Par ailleurs, des techniques d’impression 3D permettent de fabriquer des pilules «sur mesure», associant divers composés actifs et présentant les caractéristiques (pharmacocinétique…) voulues.

C’est aussi une personne de référence sur les produits pharmaceutiques pour tous les professionnels hospitaliers: il conseille les médecins et les infirmiers quand il s’agit de l’optimisation thérapeutique, du choix du dosage, des bonnes conditions d’administration ou de stockage, mais aussi des interactions médicamenteuses ou alimentaires éventuelles. Il est aussi un interlocuteur privilégié des instances pharmaceutiques et du gouvernement quand il s’agit de concrétiser des projets comme le projet e-PIL (conjointement avec la Belgique), qui vise à remplacer les notices papier par des notices électroniques. Il est aussi celui qui va mettre en œuvre dans les institutions hospitalières les directives européennes de pharmacovigilance, notamment dans le cadre de la directive sur les Falsified Medicines. C’est bien évidemment dans ce rôle que le pharmacien hospitalier apporte sa plus grande valeur ajoutée.

Son rôle est aussi celui du «chercheur» et, dans l’histoire récente de la pharmacie hospitalière au Luxembourg, l’exemple qui vient le plus rapidement à l’esprit est celui de l’usage médical du cannabis. Là aussi le pharmacien a pu s’adapter et répondre à la demande de la société pour tenter de déterminer la juste place de ce produit dans l’arsenal thérapeutique.

La pharmacie hospitalière en entreprise

Si le rôle du pharmacien a du mal à trouver sa place en pleine lumière, que dire du mode de fonctionnement d’une pharmacie hospitalière? La comparaison qui serait la plus pertinente serait sans doute celle d’une entreprise à haut débit tant l’efficacité et l’éradication des activités sans valeur ajoutée se trouvent au centre du processus. C’est inhérent au type d’activité: le volume est en augmentation et seule une organisation sans faille peut permettre de tenir la cadence en préservant la sécurité dans des conditions de travail correctes. Les volumes traités dans les pharmacies hospitalières sont tels que seul un processus complètement contrôlé peut garantir la sécurité. L’une des solutions mises en œuvre est l’automatisation presque complète du processus. Au niveau de la gestion, la définition d’objectifs, le reporting et la communication sont les clés du fonctionnement optimal du service. Tout le monde doit pouvoir savoir où en est/sont son/ses projets et savoir ce que les autres font.

On voit donc que la pharmacie hospitalière se tourne vers l’extérieur, sort de son sous-sol et adopte les techniques de management propres à l’entreprise. C’est d’ailleurs ce que défend André Rieutord, qui dirige la pharmacie du Gustave Roussy Cancer Campus, dont le fonctionnement pourrait devenir le standard pour la pharmacie de demain. Cette pharmacie doit être optimale dans sa gestion et apporter une plus-value. Pour ce faire, elle doit être centrée sur le patient et intégrée à son parcours de soins. L’expérience menée en Belgique prouve que la présence des pharmaciens dans les unités de soins est perçue comme une plus-value pour les acteurs de la chaîne de soins ainsi que pour les patients. La pharmacie hospitalière de demain doit bénéficier d’une approche-processus pour renforcer la qualité et la sécurité. Cette pharmacie doit être pilotée par un pharmacien-manager-leader capable de reconnaître la valeur et les capacités propres à chacun de ses collaborateurs et de permettre le développement de leurs compétences. Ce pharmacien-manager-leader doit proposer une vision et planifier les actions pour atteindre les objectifs définis avec les collaborateurs. Un reporting régulier est mis en place et des échéances sont proposées pour progresser et pour évaluer chaque étape du processus. Ce pharmacien-manager-leader doit définir un cadre clair et donner une vision, une direction. L’emprunt de techniques de management n’est pas juste lexical; derrière les termes dorénavant familiers de lean management ou d’objectif SMART, se trouve une réalité: il faut tout mettre en œuvre pour un travail efficace dans des conditions de travail correctes et pour garantir une sécurité maximale. Cette pharmacie peut mieux définir les besoins des patients et aussi proposer des traitements individualisés. C’est seulement de cette façon que la pharmacie hospitalière continuera d’être une plus-value.

Que retenir ?

Très naturellement, avec un rôle polymorphe et des responsabilités aussi variées, le futur du pharmacien hospitalier n’est pas figé. La profession est en pleine évolution et la pharmacie hospitalière doit s’inspirer du monde de l’entreprise pour pouvoir faire face aux défis du futur. De nouvelles spécialités, comme le radio-pharmacien, apparaissent, laissant entrevoir encore plus de diversité dans un futur proche. La collaboration accrue avec les services dans l’hôpital et l’apparition de la pharmacie clinique ont gagné leurs galons, les expériences menées en Belgique aux Cliniques SaintLuc ont permis de démontrer l’intérêt du pharmacien en unité de soins. Depuis la création des pharmacies hospitalières, le pharmacien n’a eu de cesse de se renouveler et s’adapter. Cette flexibilité et cette souplesse ne sont pas sans rappeler le serpent enroulant la coupe d’Hygie, symbole de la profession. La pharmacie hospitalière est aujourd’hui face à de grands défis, qu’elle s’apprête à relever avec le dynamisme dont elle a toujours fait preuve. Mais elle a aussi besoin de l’appui institutionnel pour que les pénuries qu’elle doit gérer ne touchent pas aussi les candidats pharmaciens. Le pharmacien hospitalier luxembourgeois attend aujourd’hui d’être égal à ses collègues travaillant dans les pays frontaliers, il demande une reconnaissance de sa spécialité.